- Les infections urinaires, de la cystite à la pyélonéphrite, sont majoritairement d’origine bactérienne (Escherichia coli dans 80 % des cas) et touchent surtout les femmes.
- Les principaux facteurs de risque sont l’anatomie (urètre court), les rapports sexuels, la contraception spermicidaire, la ménopause, ainsi que les anomalies structurales ou fonctionnelles de l’appareil urinaire.
- Les symptômes typiques incluent dysurie, pollakiurie, urgenturie et parfois hématurie pour la cystite, tandis que la pyélonéphrite associe fièvre, frissons et douleur lombaire.
- Le traitement repose sur une antibiothérapie probabiliste (fosfomycine, pivmécillinam, céphalosporines, fluoroquinolones) adaptée à l’antibiogramme, complétée par hydratation, antispasmodiques et analgésiques.
- La prévention s’appuie sur une bonne hygiène urinaire (miction post-coïtal, hydratation), la réduction des sondages, l’usage de probiotiques, d’œstrogènes locaux en post-ménopause et, le cas échéant, d’antibioprophylaxie ou de vaccination.
Les infections urinaires, pathologie fréquente touchant majoritairement les femmes, représentent un défi clinique et de santé publique en raison de leur prévalence élevée, de leurs répercussions sur la qualité de vie et des enjeux croissants liés à l'antibiorésistance. Ces infections, dont 50 % des femmes connaîtront au moins un épisode au cours de leur vie, recouvrent un spectre clinique allant de la cystite simple à la pyélonéphrite compliquée. Les récentes avancées thérapeutiques, notamment l'optimisation des schémas antibiotiques et les stratégies préventives, s'inscrivent dans un contexte épidémiologique marqué par l'émergence de souches bactériennes résistantes, soulignant la nécessité d'une approche multidisciplinaire intégrant microbiologie, clinique et santé publique.
Épidémiologie et facteurs de risque
Répartition démographique et incidence
L'infection urinaire présente une nette prédominance féminine, avec une incidence annuelle de 2 à 4 % chez les femmes adultes, contre moins de 0,1 % chez les hommes jeunes. Cette disparité s'explique principalement par des facteurs anatomiques : la brièveté de l'urètre féminin (3-4 cm contre 15-20 cm chez l'homme) facilite la colonisation ascendante par les bactéries intestinales. Après 65 ans, l'écart entre les sexes se réduit en raison de l'augmentation des pathologies prostatiques et des cathétérismes vésicaux chez l'homme.
Facteurs favorisants individuels
Les rapports sexuels constituent le principal facteur déclenchant chez la femme jeune, avec un risque accru dans les 48 heures post-coïtal. La contraception spermicide altère la flore vaginale protectrice, tandis que la carence œstrogénique post-ménopausique modifie l'épithélium urétral. Chez l'homme, l'hypertrophie prostatique bénigne entraîne une stagnation urinaire propice aux infections récidivantes. Les anomalies fonctionnelles (vessie neurogène) ou structurales (lithiase, reflux vésico-urétéral) représentent des terrains à risque de complications.
Physiopathologie et microbiologie
Mécanismes de colonisation bactérienne
Dans 80 % des cas, l'agent pathogène est Escherichia coli, dont les adhésines (pili de type 1 et P) permettent l'ancrage aux cellules urothéliales. Les souches uropathogènes se distinguent par leur capacité à former des biofilms et à internaliser dans les cellules hôtes, échappant ainsi à l'action des antibiotiques. Les autres pathogènes incluent Klebsiella pneumoniae (10-15 %), Proteus mirabilis (5 %), et Enterococcus faecalis (2 %), plus fréquents dans les infections nosocomiales ou compliquées.
Facteurs de virulence microbienne
La production d'uréase par Proteus spp. et certains E. coli alcalinise les urines, favorisant la précipitation des phosphates et la formation de calculs infectieux. Les sidérophores bactériens (entérobactine) captent le fer libre, essentiel à la croissance microbienne dans un milieu pauvre en nutriments. Ces mécanismes expliquent la persistance des bactéries malgré les défenses de l'hôte, notamment la miction et les peptides antimicrobiens vésicaux.
Tableau clinique et classification
Manifestations selon la localisation
La cystite aiguë simple se caractérise par une triade symptomatique : dysurie (80 % des cas), pollakiurie (70 %) et urgenturie (50 %), parfois accompagnée d'hématurie macroscopique. L'absence de fièvre et de douleur lombaire permet de différencier cette forme des pyélonéphrites, où prédominent une hyperthermie >38,5°C, des frissons et une douleur costo-vertébrale unilatérale. Chez l'homme jeune, la prostatite aiguë associe dysurie, fièvre élevée et douleur périnéale, nécessitant une exploration urologique rapide.
Critères de gravité
La classification française distingue les infections simples (cystite ou pyélonéphrite sans facteur de risque) des formes compliquées, associées à :
- Anomalies structurelles (reflux, lithiase, tumeur)
- Facteurs fonctionnels (résidu post-mictionnel >100 ml)
- Comorbidités (diabète, immunodépression, insuffisance rénale)
- Grossesse et sexe masculin
Cette distinction conditionne la durée du traitement antibiotique, plus longue dans les formes compliquées (7-14 jours contre 3-5 jours).
Approche diagnostique
Examens complémentaires
Le diagnostic de certitude repose sur l'examen cytobactériologique des urines (ECBU), dont les seuils interprétatifs diffèrent selon le contexte :
- ≥10³ UFC/ml pour les cystites symptomatiques
- ≥10⁴ UFC/ml pour les pyélonéphrites
- ≥10⁵ UFC/ml en cas de sondage vésical
La bandelette urinaire, avec une sensibilité de 90 % pour les leucocytes et les nitrites, reste l'examen de première intention en ambulatoire. L'imagerie (échographie rénale, scanner abdomino-pelvien) s'impose en cas de suspicion de complication (abcès, lithiase obstructive) ou de pyélonéphrite fébrile persistante après 72 heures de traitement.
Diagnostic différentiel
Chez la femme, une vaginite à Candida ou Trichomonas peut mimer une cystite, mais s'accompagne typiquement de leucorrhées et de prurit. La cystite interstitielle, pathologie inflammatoire chronique non infectieuse, se distingue par des douleurs pelviennes cycliques et l'absence de germe à l'ECBU. Chez l'homme jeune, une urétrite à Chlamydia trachomatis doit être évoquée devant des symptômes subaigus et des facteurs de risque sexuels.
Prise en charge thérapeutique
Antibiothérapie probabiliste
Les recommandations françaises 2023 privilégient :
- Cystite simple : fosfomycine trométamol (3 g en dose unique) ou pivmécillinam (400 mg 3x/j pendant 5 jours)
- Pyélonéphrite simple : céphalosporine de 3e génération (CEFIXIME 400 mg/j pendant 7 jours)
- Formes compliquées : fluoroquinolones (CIPROFLOXACINE 500 mg 2x/j) pendant 7-14 jours
L'adaptation secondaire selon l'antibiogramme est cruciale pour limiter l'émergence de résistances, particulièrement préoccupante pour les fluoroquinolones (25 % de résistance chez E. coli en 2023).
Mesures adjuvantes
L'analgésie par antispasmodiques (phloroglucinol) et anti-inflammatoires non stéroïdiens réduit la dysurie. La phytothérapie (canneberge, bruyère) montre une efficacité préventive modeste en inhibant l'adhésion bactérienne, mais ne remplace pas l'antibiothérapie curative. L'hydratation (>1,5 L/j) et la miction post-coïtale restent des mesures de base, bien que leur impact ne soit pas quantifié.
Stratégies préventives
Prévention primaire
Chez la femme récidivante (>4 épisodes/an), plusieurs approches ont fait preuve d'efficacité :
- Probiotiques vaginaux (Lactobacillus crispatus) pour restaurer la flore commensale
- Œstrogènes locaux en post-ménopause
- Antibioprophylaxie intermittente (fosfomycine 3 g/10 jours ou cotrimoxazole 480 mg 2x/semaine)
La vaccination par des souches uropathogènes inactivées (Uro-Vaxom®) réduit de 40 % le taux de récidives sur 6 mois, selon des essais récents.
Gestion du risque nosocomial
La stratégie nationale 2022-2025 insiste sur la réduction des cathétérismes vésicaux, responsables de 70 % des infections urinaires hospitalières. Le "faisceau d'interventions" préconise :
- Évaluation quotidienne de l'indication du sondage
- Techniques aseptiques lors de la pose
- Maintenance en système clos
Ces mesures ont permis une réduction de 30 % des durées de cathétérisme dans les hôpitaux pilotes suisses entre 2016 et 2018.
Enjeux de santé publique
Lutte contre l'antibiorésistance
Les infections urinaires représentent 20 % des prescriptions antibiotiques en ville, contribuant à l'émergence de souches multirésistantes. Face à ce défi, la HAS recommande depuis 2023 :
- Utilisation prioritaire des bêtalactamines à spectre étroit
- Éviction des fluoroquinolones en première intention
- Développement de tests rapides de sensibilité aux antibiotiques
Ces mesures s'accompagnent d'un effort de formation des professionnels via des protocoles nationaux actualisés, comme le PMN 888022 au Québec intégrant la fosfomycine en première ligne.
Perspectives thérapeutiques
Les recherches actuelles explorent plusieurs voies innovantes :
- Inhibiteurs des adhésines bactériennes (mannosides)
- Thérapies phagiques ciblant les biofilms
- Vaccins conjugués contre les facteurs de virulence d'E. coli
Parallèlement, l'IA appliquée à l'antibiogramme permet d'optimiser les choix thérapeutiques en croisant les données microbiologiques avec les antécédents du patient.
Conclusion
La prise en charge des infections urinaires évolue vers une personnalisation croissante, intégrant le profil de résistance local, les comorbidités et le statut hormonal. Si les avancées thérapeutiques offrent des alternatives aux antibiotiques classiques, la prévention reste l'axe majeur de réduction du fardeau clinique et économique de ces infections. La synergie entre mesures individuelles (hygiène, hydratation) et politiques de santé publique (bon usage des antibiotiques, recherche vaccinale) constitue la clé pour contrer la double menace de la chronicisation et de l'antibiorésistance.
