- Les céphalées de tension sont la forme la plus fréquente de céphalées primaires, caractérisées par une douleur bilatérale en « étau » sans nausées ni photophobie intenses.
- Leur physiopathologie associe une hypertonie myofasciale (muscles péri-crâniens) et une sensibilisation centrale, avec des déclencheurs tels que le stress, les troubles du sommeil, la fatigue oculaire et la posture.
- Le diagnostic repose sur les critères ICHD-4 : céphalées bilatérales non pulsatiles, intensité légère à modérée, absence de nausées/vomissements et symptomatologie associée limitée.
- Le traitement aigu privilégie le paracétamol ou l’ibuprofène (limités à <10 jours/mois), tandis que la prévention combine amitriptyline, venlafaxine ou toxine botulique, et thérapies non médicamenteuses (TCC, biofeedback).
- La prévention repose sur l’ergonomie posturale, l’hygiène du sommeil, la gestion du stress (MBSR), et l’éducation via un agenda céphalalgique pour identifier et éviter les déclencheurs.
Céphalées de tension : mécanismes, manifestations et stratégies thérapeutiques
Les céphalées de tension représentent la forme la plus répandue de céphalées primaires, affectant jusqu'à 40 % de la population générale. Caractérisées par une douleur oppressante bilatérale évoquant un « étau crânien », elles se distinguent des migraines par l'absence de symptômes associés typiques (nausées, photophobie) et leur aggravation modérée lors des activités quotidiennes. Si leur physiopathologie exacte reste débattue, les modèles actuels intègrent des composantes périphériques (hypertonie musculaire) et centrales (sensibilisation neurosensorielle). Leur prise en charge, complexifiée par les formes chroniques (≥15 jours/mois), requiert une approche multimodale combinant pharmacothérapie, thérapies cognitivo-comportementales et adaptations hygiéno-diététiques.
Physiopathologie des céphalées de tension
Modèles étiopathogéniques
L'hypothèse myofasciale postule qu'une hyperactivité persistante des muscles péri-crâniens (trapèzes, masséters) génère des micro-lésions tissulaires, induisant une libération locale de médiateurs algogènes (substance P, bradykinine). Cette théorie explique les céphalées épisodiques (<15 jours/mois), souvent déclenchées par des facteurs posturaux ou des troubles de l'articulation temporo-mandibulaire. Les études électromyographiques révèlent une corrélation entre l'intensité des céphalées et l'activité électrique des muscles temporaux.
En revanche, les formes chroniques semblent impliquer une dysrégulation centrale de la nociception. L'imagerie fonctionnelle met en évidence une hyperexcitabilité du tronc cérébral et du thalamus, avec diminution des seuils de perception douloureuse. Ce phénomène de sensibilisation centrale serait favorisé par des épisodes répétés de douleur aiguë, créant une « mémoire » pathologique des circuits neuronaux. Des anomalies du système sérotoninergique et noradrénergique ont également été documentées, justifiant l'efficacité des antidépresseurs tricycliques dans cette indication.
Facteurs déclenchants et comorbidités
Le stress psychologique joue un rôle pivot, agissant à la fois comme initiateur et amplificateur via l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. L'hypercortisolémie chronique altère la modulation endogène de la douleur et potentialise l'inflammation myofasciale. Parmi les autres déclencheurs identifiés :
- Troubles du sommeil (insomnies, apnées) perturbant la phase de récupération musculaire
- Fatigue oculaire liée à une accommodation prolongée (écrans, lecture)
- Désordres métaboliques (hypoglycémie, déshydratation) influençant la vasomotricité cérébrale
Une étude cas-témoins de 2024 a mis en évidence une prévalence accrue de céphalées de tension chez les patients présentant un syndrome de l'intestin irritable (OR=3,2) ou une fibromyalgie (OR=4,7), suggérant un terrain commun de sensibilisation neurosensorielle.
Tableau clinique et diagnostic différentiel
Symptomatologie caractéristique
La douleur, typiquement bilatérale et en « casque », évolue en trois phases :
- Phase prodromique (30 % des cas) : raideur cervicale, photophobie légère
- Phase céphalalgique : pression constante (60-80 mmHg sur échelle visuelle), maximale en région occipitofrontale
- Phase résiduelle : asthénie post-critique sans allodynie
Contrairement aux migraines, l'activité physique n'aggrave pas significativement la douleur, et les nausées – lorsqu'elles sont présentes – restent modérées. L'examen clinique recherche une hyperalgésie péri-crânienne à la palpation des muscles trapèzes et sous-occipitaux, signe spécifique (Sp=92%, Se=68%).
Critères diagnostiques (ICHD-4, 2025)
Diagnostic différentiel
L'élimination des céphalées secondaires repose sur l'anamnèse et l'imagerie (IRM cérébrale en cas de drapeaux rouges) :
- Migraine sans aura : douleur unilatérale pulsatile, aggravée par l'effort
- Céphalée médicamenteuse : quotidienne, réfractaire aux antalgiques
- Sinusite chronique : douleur faciale exacerbée par l'antéflexion
Stratégies thérapeutiques
Traitement aigu
Les antalgiques de niveau 1 (paracétamol 1g, ibuprofène 400mg) constituent la première ligne, avec une efficacité supérieure au placebo (NNT=3,4). Leur utilisation doit être limitée à <10 jours/mois pour prévenir les céphalées par abus médicamenteux. En cas de résistance, l'association caféine (100mg)/paracétamol montre une réduction additionnelle de 18% sur l'échelle VAS.
Traitement préventif
Pharmacologique
L'amitriptyline (10-75 mg/j) reste le gold standard pour les formes chroniques, avec un délai d'action de 4-6 semaines. Son mécanisme combine inhibition de la recapture de la sérotonine/noradrénaline et blocage des canaux sodiques périphériques. Les effets secondaires (sécheresse buccale, somnolence) imposent une titration progressive.
Les alternatives incluent :
- Venlafaxine (75-150 mg/j) : inhibition sérotoninergique/noradrénergique, moins d'effets anticholinergiques
- Toxine botulique : injections intramusculaires mensuelles dans les formes réfractaires (niveau B)
Non pharmacologique
La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) réduit la fréquence des crises de 35% en ciblant les catastrophisations et les évitements comportementaux. Les techniques de biofeedback (EMG, thermal) améliorent quant à elles la perception proprioceptive de la tension musculaire.
L'ostéopathie crânio-sacrée montre des résultats prometteurs dans une méta-analyse récente (OR=2,1 pour la réduction d'intensité), notamment via la manipulation des sutures sphéno-pariétales.
Approches préventives et éducation thérapeutique
Modification des facteurs de risque
Un programme structuré inclut :
- Ergonomie posturale : adaptation des postes de travail (écran à 50 cm, appui-tête cervical)
- Hygiène du sommeil : routine prandiale fixe, température de chambre à 18°C
- Gestion du stress : méditation MBSR 45 min/jour, réduction de 29% des crises à 3 mois
Éducation du patient
L'objectivation des crises via un agenda céphalalgique permet d'identifier les déclencheurs individuels. Les patients apprennent à différencier les prodromes (contractures mandibulaires, clignement excessif) pour initier précocement les techniques de relaxation.
Perspectives futures
Les recherches actuelles explorent le rôle des biomarqueurs inflammatoires (IL-6, TNF-α) dans la chronicisation, ouvrant la voie à des thérapies ciblées anti-cytokines. Parallèlement, les stimulateurs magnétiques transcrâniens (SMT) démontrent une efficacité symptomatique dans 54% des cas résistants.
Conclusion
Les céphalées de tension, bien que bénignes, exigent une prise en charge holistique intégrant dimensions somatiques et psychosociales. L'essor des thérapies neuromodulatrices et des approches personnalisées laisse entrevoir une amélioration significative du pronostic fonctionnel à moyen terme. La formation continue des praticiens sur les diagnostics différentiels reste cruciale pour éviter les errances thérapeutiques.
